« La situation est donc particulièrement douloureuse pour l’agriculture biologique, confrontée à un nouveau type de substance inorganique : l’imprégnation infime, invisible et généralisée des radionucléides dans le sol. Nombreux parmi nous comprirent que la catastrophe nucléaire de Fukushima signait la fin d’une époque où le lien entre les humains et la terre pouvait être tenu pour acquis. »
Sabu Kosho, Radiations et révolution. Capitalisme apocalyptique et luttes pour la vie au Japon, 2020.
Lundi 19 avril 2021,
En avril 2011, lors d’un repas partagé à la suite d’un chantier participatif, une discussion qui questionnait l’absorption de la radioactivité par les légumes-feuilles (en l’occurrence, des blettes de saison ayant servi à la préparation du repas) a pris une drôle de tournure lorsqu’un voisin de table affirma alors sa capacité à détourner par la pensée toute forme de radioactivité. Je me souviens avoir salué sa puissance mentale par quelques mots d’esprits bienveillants, je l’ai incité à partager au plus vite sa « technique » (en effet, à quoi bon profiter seul d’une si puissante ressource !) et, surtout, à trouver un moyen de la transmettre rapidement aux enfants, car nous allions justement déjeuner.
Cette discussion surréaliste avait bien évidemment lieu en Brocéliande, terre de légendes et de pouvoirs surnaturels par excellence.
J’ai par la suite associé cet échange à la description fictive de l’entrepreneur de mines d’uranium qui mâchait et avalait ses cailloux pour prouver leur innocuité (Edward Abbey, Le retour du gang de la clé à molettes), en me demandant pourquoi j’étais mal à l’aise avec ce genre de propos.
Je ne m’étonne plus des multiples réponses individuelles apportées aux nuisances du monde moderne, et malgré ma sensibilité à la magie, je préfère croire aux réponses élaborées collectivement dans un élan émancipateur. Réponses plus propices à un changement radical concernant la problématique du nucléaire.
À l’heure où l’océan Pacifique s’apprête à recevoir les eaux contaminées de la centrale de Fukushima Daiichi, la question de l’eau est encore une fois au centre des réflexions autour du cycle de la vie.
Tous les établissements nucléaire (centrales, anciennes mines d’uranium, sites de stockage de déchets) engendrent des pollutions radioactives et chimiques dans les milieux aquatiques. Par ailleurs, les centrales refroidissant leurs réacteurs à l’aide de l’eau, une « pollution thermique » se développe (effets induits par les rejets des centrales après refroidissement), et cela reste un phénomène qui est largement ignoré et peu étudié…
De vastes champs de réflexions et d’actions s’offrent à nous, et il est nécessaire de lire les comptes rendus d’expériences en provenance des différentes parties du globe.
Je terminerais sur une note joyeuse « du temps d’avant » rédigée par Élisée Reclus, en gardant confiance en l’eau et en sa mémoire :
« Sans doute, cette eau se souillera plus loin ; elle passera sur des roche en débris et sur des végétaux en putréfaction ; elle délayera des terres limoneuses et se chargera des restes impurs déversés par les animaux et les hommes ; mais ici, dans sa vasque de pierre ou son berceau de joncs, elle est si pure, si lumineuse, que l'on dirait de l'air condensé : les reflets changeants de la surface, les bouillonnements soudains, les cercles concentriques des rides, les contours indécis et flottants des cailloux immergés révèlent seuls que ce fluide si clair est bien de l'eau, comme le sont nos grands fleuves bourbeux ».
Au plaisir d’échanger avec vous,
Quelques pistes de lectures :
Liaisons, recherche partisane transocéanique, « Décomposer le Japon », Au nom du peuple, Éditions Divergences, 2018.
Préface à l’édition française de Radiations et révolutions. Capitalisme apocalyptique et luttes pour la vie au Japon
Association Contre le Nucléaire et son Monde, Sous l’épaisseur de la nuit. Documents et témoignages sur le désastre de Tchernobyl, 1993.
Arkadi Filine, Oublier Fukushima, Éditions du bout de la ville, 2012.
Claude Lévi-Strauss, « Le sorcier et sa magie », Anthropologie structurale, 1949.
Élisée Reclus, Histoire d’un ruisseau, 1869.
PS (pour les mélomanes) : samedi dernier étant l’occasion d’ouvrir les portes de la librairie pour la cinquième fois, je ne résiste pas à l’envie de vous inciter à découvrir cette version de la 5ème par Ekseption, groupe de rock progressif hollandais. (The Fifth, Ekseption)
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