"Voyez un peu le moyen-âge, où les grandes fortunes commencent à surgir.
Un baron féodal a fait main basse sur une fertile vallée. Mais tant que cette campagne n’est pas peuplée, notre baron n’est pas riche du tout. Sa terre ne lui rapporte rien : autant vaudrait posséder des biens dans la lune. Que va faire notre baron pour s’enrichir ? Il cherchera des paysans !
Cependant, si chaque agriculteur avait un lopin de terre libre de toute redevance ; s’il avait, en outre, les outils et le bétail nécessaires pour le labour, qui donc irait défricher les terres du baron ? Chacun resterait chez soi. Mais il y a des populations entières de misérables. Les uns ont été ruinés par les guerres, les sécheresses, les pestes ; ils n’ont ni cheval, ni charrue. (Le fer était coûteux au moyen âge, plus coûteux encore le cheval de labour.)
Tous les misérables cherchent de meilleures conditions. Ils voient un jour sur la route, sur la limite des terres de notre baron, un poteau indiquant par certains signes compréhensibles, que le laboureur qui viendra s’installer sur ces terres recevra avec le sol des instruments et des matériaux pour bâtir sa chaumière, ensemencer son champ, sans payer de redevances pendant un certain nombre d’années. Ce nombre d’années est marqué par autant de croix sur le poteau-frontière, et le paysan comprend ce que signifient ces croix.
Alors, les misérables affluent sur les terres du baron. Ils tracent des routes, dessèchent les marais, créent des villages. Dans neuf ans le baron leur imposera un bail, il prélèvera des redevances cinq ans plus tard, qu’il doublera ensuite et le laboureur acceptera ces nouvelles conditions, parce que, autre part, il n’en trouverait pas de meilleures. Et peu à peu, avec l’aide de la loi faite par les maîtres, la misère du paysan devient la source de la richesse du seigneur, et non seulement du seigneur, mais de toute une nuée d’usuriers qui s’abattent sur les villages et se multiplient d’autant plus que le paysan s’appauvrit davantage.
Cela se passait ainsi au moyen âge. Et aujourd’hui, n’est-ce pas toujours la même chose ? S’il y avait des terres libres que le paysan pût cultiver à son gré, irait-il payer mille francs l’hectare à Monsieur le Vicomte, qui veut bien lui en vendre un lopin ? Irait-il payer un bail onéreux, qui lui prend le tiers de ce qu’il produit ? Irait-il se faire métayer pour donner la moitié de sa moisson au propriétaire ?
Mais il n’a rien ; donc, il acceptera toutes les conditions, pourvu qu’il puisse vivre en cultivant le sol ; et il enrichira le seigneur.
En plein dix-neuvième siècle, comme au moyen âge, c’est encore la pauvreté du paysan qui fait la richesse des propriétaires fonciers."
Pierre Kropotkine, La conquête du pain.
Lundi 13 décembre 2021,
Un campement d'Argonautes (éclaireuses et éclaireurs de France) s'est installé à l'orée de la forêt de Brocéliande sur des terres mises en commun. Une vie communautaire éphémère s'est mise en place sur ces terres autrefois mises en culture par différents collectifs maraichers.
Des tentes, un point d'eau et un accès à une salle chauffée au bois car le mois de décembre ne permet pas toujours de vivre à temps plein en extérieur.
L'un des collectifs maraichers (le Rumex), installé depuis sur une ferme, avait par ailleurs accueilli un camp "éclé" l'été dernier.
Une sortie de la ville, une expérience nécessaire vers une vie simple...
Historiquement, le seul scoutisme présent dans cette partie de la forêt était celui des scouts et guides d'Europe et leur conception très particulière du "civisme à l'école des bois".
Mais les temps changent.
"Lors de mon dernier voyage en Californie, je me suis retrouvée coincée dans un bouchon sur l’autoroute. Trois voies de véhicules vomissaient leurs gaz d’échappement, leurs vapeurs faisant éclater mes quelques cellules de matière grise restantes comme du papier bulle, me mettant presque K.O. De sorte que si la circulation en était venue à retrouver son rythme originel, mon état aurait sans aucun doute provoqué un second embouteillage, me laissant, moi, avachie sur mon volant, des stalactites de salive dégoulinant sur la charmante moquette argentée de ma voiture de location ; et les autres conducteurs, leur sang bouillonnant dopé à l’espresso, se mettant à me haïr et à me tirer dessus. La voiture me précédant dans le bouchon était une BMW, télécopieur et jacuzzi inclus. Son autocollant m’annonçait : "Je préfèrerais être chasseur-cueilleur"."
Ellen Meloy, C'est d'ici que nous observons d'autres villes croître à en perdre la raison.
Cependant, en arrivant sur les lieux, deux jeunes faisaient des allers-retours sur la route avec un quad. Des dérapages sur le bas coté dans la boue...YEAH !!!
Une autre conception des joies de la vie à la campagne.
Les temps changent mais la métropolisation des espaces ruraux se poursuit inexorablement. Certaines valeurs essentielles à la préservation d'un rapport respectueux au monde qui nous entoure ne peut se transmettre que de manière appropriée. Vive le scoutisme et vive les communs !
Du côté de la librairie, les personnes présentes ont donc vu bouillonner le lieu avec cette présence scoute, mais c'était la dernière ouverture des portes de l'année.
Je vous donne donc rendez-vous au samedi 08 janvier 2022.
Pistes de lectures :
- Edward Caprenter, Vers une vie simple, L’échappée, 2020.
- Julia Butterfly Hill, De sève et de sang, Édition Libre, 2020.
- Ellen Meloy, C'est d'ici que nous observons d'autres villes croître à en perdre la raison, Blast, 2021.
- Phil A. Neel, Hinterland. Nouveau paysage de classes et de conflits aux États-Unis, Édition Grevis, 2020.
- Antoine Costa, La nature comme marchandise. Une série d'entretiens, Éditions Le monde à l'envers, 2018.
- Christine Excoffier, 1000 ans de révoltes paysannes, L'Atinoir, 2020.
- Pierre Kropotkine, La conquête du pain, Nada Édition, 2021.
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