« La mise en œuvre de la compensation écologique n’implique donc pas seulement de réduire les milieux écologiques à un ensemble de fonctions, mais aussi de faire de l’environnement un réceptacle dans lequel les phénomènes écologiques et les pratiques sociales prennent simplement place, abstraction faite des processus historiques et naturels qui les ont produits. Si selon Karl Marx la tendance du capitalisme est celle d’une « annihilation de l’espace par le temps », le capitalisme vert est lui marqué par une annihilation de l’espace par l’écologie ».
Benoit Dauguet, Mesures contre nature. Mythes et rouages de la compensation écologique, 2021.
Dimanche 04 juillet 2021,
Historiquement, l’abattage des forêts du bassin méditerranéen correspond au développement extensif des surfaces consacrées aux pratiques agricoles (cultures et élevage), à l’usage intensif du charbon de bois (forges) et à l’usage du bois pour la construction (monuments, bateaux…). De manière plus contemporaine, les forêts tropicales sont déboisées quasi-exclusivement pour un usage agricole et pour l’usage commercial du bois (bois d’œuvre, papier). Le défrichement des terres boisés semble donc lié au développement d’une certaine forme d’activité humaine.
Géologiquement, la déforestation conduit souvent à l’érosion des sols qui induit une réduction drastique des cycles organiques des écosystèmes terrestres. L’ère industrielle et le développement de l’extraction et de la consommation de combustibles fossiles a clairement fait de l’espèce humaine un agent géologique.
Météorologiquement, la perturbation du cycle du carbone (modification des stocks de carbone dans le sol et dans l’atmosphère) et de celui de l'eau (évapotranspiration) tend à générer des phénomènes extrêmes.
Sans oublier que la conquête des Amériques s’est soldée, avant tout, par l’extermination de peuples et l’expulsion progressive des survivants de leurs habitats, la naissance de l’environnementalisme aux États-Unis peut s’apparenter au développement de la sensibilité au contact de la vie sauvage chez certains individus (Thoreau : 1854 ; Muir : 1911). Mais devant le développement soutenu de l’industrialisation du pays, c’est finalement le concept de préservation de la nature qui va s’imposer et fonder les bases des politiques environnementales futures.
Vers la fin du XXème siècle, la notion de compensation écologique émerge peu à peu et s'impose au monde. Avec la création des marchés de droits à polluer (crédits carbone) et des titres financiers de transfert des risques climatiques le Capital a intégré la nature. Loin de décoloniser le rapport humain à la nature à la manière des nouvelles formes de pensées anthropologiques, un certain esprit scientifique et économique indexe, normalise, ordonne et transforme en valeur d’échanges des processus biologiques. Ce faisant, c’est tout un univers de possibles qui disparait et la seule manière de s’y opposer consiste à mettre en échec ces nouvelles formes d’appropriation. S'engager afin de pouvoir continuer à rêver avec les forêts et tout ce qui les habite…
Ce monde au-delà de l’humain, auquel nous sommes ouverts, est d’avantage quelque chose qui se tiendrait « là », car le réel est davantage que ce qui existe. De la même manière, l’anthropologie au-delà de l’humain cherche à déplacer légèrement notre point de repère temporel, pour porter notre regard au-delà de l’ici et maintenant de l’actuel. Cela implique bien entendu de nous pencher à nouveau sur les contraintes, les contingences, les contextes et les conditions de possibilité. Mais la vie des signes, et des sois qui se trouvent les interpréter, n’est pas seulement située dans le présent, ou dans le passé. Elle participe à un mode d’être qui s’étend aussi dans le possible futur. »
Eduardo Kohn, Comment pensent les forêts. Vers une anthropologie au-delà de l’humain, p103.
La librairie se situe au cœur d’un espace de conservation de variétés anciennes de pommes, poires et cerises. Un verger conservatoire et une forêt comestible poussent maintenant depuis une dizaine d’années sur les parcelles adjacentes.
Le détour que j’effectue chaque samedi pour y ouvrir les portes est également un prétexte pour appréhender un espace biologique en pleine recomposition. Prendre le temps d'ouvrir son esprit vers d'autres perspectives...
Bienvenu.e.s !
Pistes de lectures :
Benoit Dauguet, Mesures contre nature. Mythes et rouages de la compensation écologique, Grevis, 2021.
Karl Jacoby, Crimes contre la nature. Voleurs, squatters et braconniers : l’histoire cachée de la conservation de la nature aux Etats-Unis, Anacharsis, 2021.
Eduardo Kohn, Comment pensent les forêts. Vers une anthropologie au-delà de l’humain, Zones sensibles, 2017.
Ramzig Keucheyan, La nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique, 2014.
Hans Koning, Petite histoire de la conquête des Amériques, L’échappée, 2010.
Ronald Creagh, Utopies américaines. Expériences libertaires du XIXème siècle à nos jours, Agone, 2009.
Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, 1953.
John Muir, Un été dans la sierra, 1911.
Jack London, L’appel de la forêt, 1903.
Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, 1854.
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