« Quand mon manteau a été usé dans une intimité affectueuse avec mon corps, quand il a servi le dimanche et les jours de la semaine, quand il a été marqué par les rigueurs du climat, le soleil et la pluie dehors dans les champs – alors, fidèle, il ne me quitte pas mais, coupé en lambeaux et mis en pièces, devient un tapis pour mes pieds, devant la cheminée. Après cela, encore plus usé, il entre dans le chenil et garde mon chien au chaud. Et des années plus tard, alors qu’il s’était retiré sur le tas de fumier et dispersé sur la terre, il me revient sous forme de pommes de terre pour mon diner ; ou pâturé par des moutons, réapparait sur leurs dos comme matière à vêtements neufs. Ainsi, il reste un ami et m’est reconnaissant de ne pas l’avoir méprisé et jeté dès qu’il n’était plus à la mode. »
Edward Carpenter, Vers une vie simple, 1887
Lundi 03 mai 2021,
Dans nos contrées post-modernes, il est de plus en plus rare de se retrouver devant une décharge sauvage dans un milieu naturel. Le recyclage des déchets est devenu rentable et un secteur entier de l’économie repose sur cette gestion lucrative sans bien évidemment résoudre les problématiques liées à la pollution de l’air, des sols et des nappes phréatiques que génèrent ces déchetteries.
Et pourtant, à Brocéliande, il m’est déjà arrivé de croiser des tas de gravats et j’ai plusieurs fois assisté au remblayage de champs par l’intermédiaire de ce type de matériaux.
La destruction de bâtiments agricoles obsolètes génère une abondance de matières modernes aux nocivités multiples et au « compostage » naturellement lent. Mais quelle logique parvient donc à faire paitre des vaches laitières sur une prairie dont la terre a été mélangé à des débris de ciment, de plastique et d’amiante ? Sans parler des pauvres vaches à qui l’éleveur ne demande rien, le lait est tout de même un produit de consommation courante et s’il n’est pas transformé localement, ne devient-il pas une arme de destruction passive des corps qui l’ingèrent ?
« Toute discussion portant sur les relations entre les humains et leur milieu, sur les modèles de consommations, les structures du pouvoir et les visons du monde véhiculées par l’économie seraient incomplètes dès lors que l’on ignorerait les systèmes de significations qui les configurent. Pourtant très peu de discours publics portant sur la pérennité, les problèmes écologiques ou l’économie se préoccupent de leurs aspects culturels. Les perspectives venues des sciences naturelles, des promoteurs de la technologie et de l’économie ont monopolisé ces discussions, laissant les anthropologues perplexes devant des définitions si réductrices et simplistes des problèmes généralement admis et des réponses qu’on peut leur apporter ». Alf Hornborg (2021, chapitre 2, Terres, énergie et valeur dans le technocène, p. 49)
En suivant cette réflexion d’Alf Hornborg (dont le dernier ouvrage me semble indispensable pour penser le monde actuel), je me demande de quel nature est le lien qui relie encore ce type d’éleveurs aux animaux. Le cycle du vivant est nié au profit d’un cycle économique mortifère qui transforme le paysage d'une manière qui semble inéluctable.
Mais heureusement, de par le monde, diverses initiatives tentent de transformer pratiquement le rapport au vivant. À nous de relayer les histoires, d'y prendre part dans la (dé)mesure des possibles et par tous les moyens nécessaires.
Pour terminer sur des joies quotidiennes, samedi dernier, quelques accords de guitare ont fait vibrer les murs de la librairie (merci à Matthieu dit Guanaco). Une belle discussion autour de la question de la joie sur le lieu des activités quotidiennes (en partant des expériences vécues à la bibliothèque de Paimpont et au Champ commun) a clôturé la journée et a ouvert la pensée vers des perspectives réflexives.
À suivre...
Pistes de lecture :
Anselm Jappe, Béton. Arme de construction massive du capitalisme, L’Échappée, 2020
Yannick Ogor, Le paysan impossible. Récit de luttes, Les éditions du bout de la ville, 2017
Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, L’Échappée, 2019
Alf Hornborg, La magie planétaire. Technologies d’appropriation de la Rome antique à Wall street, éditions divergences, 2021
Clémence Bardaine et Alexis Pernet, Un paysage du renversement. Des agriculteurs à l'école des sols, Les éditions du commun, 2019
Adolfo Gilly, La révolution mexicaine (1910-1920), éditons Syllepses, 2020
Clara Eugenia Lida, La Mano Negra. Anarchisme rural, sociétés clandestines et répression en Andalousie (1870-1888), L’Échappée, 2011
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