« Là où vous risquez votre temps, je dois, moi, débourser deux mille francs. Si nous sommes trompés, car habent sua fata libelli, je perds deux mille francs ; quant à vous, vous n'avez qu'à lancer une ode contre la stupidité publique. Après avoir médité sur ce que j'ai l'honneur de vous dire, vous viendrez me revoir. — Vous reviendrez à moi, répéta le libraire avec autorité pour répondre à un geste plein de superbe que Lucien laissa échapper. Loin de trouver un libraire qui veuille risquer deux mille francs pour un jeune inconnu, vous ne trouverez pas un commis qui se donne la peine de lire votre griffonnage. Moi, qui l'ai lu, je puis vous y signaler plusieurs fautes de français. Vous avez mis observer pour faire observer, et malgré que. Malgré veut un régime direct ».
Balzac, Illusions perdues, 1837
Lundi 10 mai 2021,
Dans nos contrées, au XIXème siècle, le peuple subit de plein fouet les répercussions sociales de la « révolution » industrielle : la machine supplante le savoir-faire artisanal et les conditions de travail se dégradent ; l’exode rural mène à une urbanisation débridée et l’insalubrité devient la norme ; les sociétés financières s’ouvrent à la spéculation immobilière et les villes se transforment.
Au même moment, les romanciers sont confrontés à de nouvelles réalités éditoriales liées à l’entrée de la littérature dans l’ère industrielle. Avec l’émergence de l’imprimerie moderne, le livre devient le premier objet culturel de reproduction en série : l’édition mercantile est née. Progressivement, la tendance à la réduction des coûts de reproduction des livres et la dépendance envers un marché anonyme de lecteurs va ouvrir sur un processus d’industrialisation littéraire dont les grands groupes d’éditions littéraires forment l’aboutissement.
« Un livre qui possède une valeur déterminée et un pain possédant la même valeur s’échangent l’un contre l’autre, ils sont la même valeur, simplement dans un matériau différent. En tant que valeur, la marchandise est en même temps un équivalent, dans un rapport déterminé, pour toutes les autres marchandises. »
Marx, Manuscrits de 1857-1858 dits « Grundrisse », Paris, Éditions sociales, 2011, p. 97-98
Le projet de la librairie Racines étant de favoriser la diffusion d’une pensée critique et pratique via la diffusion d’ouvrages d’éditions indépendantes, je cherche une manière de rendre accessible ces livres au plus grand nombre. Outre la question de l’accessibilité même à la librairie (perdue en lisière de forêt), le rapport à l’argent présente un obstacle immédiat… Mais, grand admirateur de la kula (en tant que circuit d'échange n'empêchant pas l'existence d'autres circuits, tout à fait commerciaux - à condition d'en rester nettement distinct), je suis ouvert à toutes réflexions et propositions permettant de dépasser cet écueil des temps modernes.
Au plaisir de vous rencontrer.
Pistes de lecture :
· Zola, La curée et L’argent, 1871 et 1891
· Alfred Sohn-Rethel, La monnaie, Éditions La tempête, 2017
· Kirkpatrick Sale, La révolte luddite. Briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, Éditions L’Échappée, 2006
· Alain Testart, Critique du don. Études sur la circulation non marchande, Syllepse, 2007
· Bronislaw Malinowski, Les argonautes du Pacifique Occidental, 1922
· Michael Gold, Juifs sans argent, Nada éditions, (1930) 2016
· Maupassant, Mont-Oriol, 1887
Rien ne change hélas !