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Le pouvoir des mots






« Si nous sommes toutes là aujourd'hui, c'est parce que, d'une façon ou d'une autre, nous partageons un même engagement envers le langage et le pouvoir des mots, c’est parce que nous sommes décidées à régénérer cette langue instrumentalisée comme nous. Pour transformer le silence en paroles et en actes, il est fondamental que chacune de nous établisse et analyse sa place dans cette transformation, et reconnaisse le rôle vital qu'elle joue. Pour celles qui écrivent, il est nécessaire d'examiner minutieusement, non seulement la véracité de ce que nous disons, mais encore la véracité du langage que nous utilisons. Pour d'autres, il s'agira de partager, et aussi de transmettre, ces paroles qui font sens pour nous. Mais plus que tout, il est primordial, pour nous toutes, de montrer l'exemple en vivant et en nommant ces vérités auxquelles nous croyons, et que nous détenons au-delà de notre entendement. C’est seulement ainsi que nous pourrons survivre, en prenant part à ce processus vital, créatif et continu, et qui s'appelle grandir. Et cela ne se fait jamais sans peur - peur de la visibilité, de la lumière implacable de l'examen, peut-être peur d'être jugée, peur de la souffrance, peur de la mort. Mais nous avons déjà traversé tout cela, en silence, excepté la mort. Maintenant, je me répète sans cesse que si j'étais née muette, ou si j'avais fait vœu de silence ma vie entière pour assurer ma sécurité, ça ne m'aurait pas empêchée de souffrir pour autant, je n'échapperais pas à la mort de toute façon. Ce qui est très bien pour relativiser les choses. »


Audre Lorde, Sister Outisder. Essais et propos d’Audre Lorde. Sur la poésie, l’érotisme, le racisme, le sexisme…, 1984.



Dimanche 23 mai 2021,


Un texte engage à priori l’intégralité de la personne qui le rédige. Je pense donc je suis, mais lorsque j’écris, ce que je suis impacte directement mon propos.

Lorsque j’écris, je n’oublie pas qui je suis. Un homme (aux cheveux longs) cisgenre, blanc, valide, citoyen français élevé par des parents fonctionnaires dans une métropole en pleine "expansion économique" et scolarisé dans un système publique relativement mixte. Il n’existe pas de neutralité dans l’écriture.

Je n’oublie pas non plus que la transcription de ma pensée sous forme écrite a sérieusement tendance à formater mon propos. Pour reprendre les termes de Jack Goody, il existe une « réduction graphique de la parole » et l’expression orale de ma pensée serait différente.


Dans une perspective historique, l’ordre alphabétique occidental exerce depuis toujours une emprise sur les différentes formes d’oralité « exotiques ». En substance, les civilisations antiques à écriture sont à l’origine d’une domestication progressive de la pensée sauvage qui a conduit à l’hégémonie d’un ordre graphique. Par la puissance de capitalisation d’un héritage des savoirs, les sociétés à écritures ont progressivement réussi à imposer certaines visions du monde et certaines manières de vivre.


Dans une perspective de développement de la pensée critique, l’écrit est sans conteste un support pratique alimentant les réflexions et les échanges à distance.

Dans une perspective littéraire, l’écrit nous offre également des mondes imaginaires infinis à parcourir.

Dans une perspective poétique, reste à l’écrit son inventivité et sa créativité propre.


(...) Voici une ligne qui pense Une autre accomplit une pensée. Lignes d'enjeu. Ligne de décision. Une ligne s'élève. Une ligne va voir. Sinueuse, une ligne de mélodie traverse vingt lignes de stratification (...)

Henri Michaux, extrait d'une lettre à Karl Flinker après avoir vu des tableaux de Paul Klee,1975



Lorsque j’écris les lettres du lundi, je pars également du principe que j’engage l’intégrité de la librairie Racines à travers les textes produits. En communiquant à travers ces lettres, j’engage ma relation aux autres depuis un espace particulier. Néanmoins, je tente de composer avec ma raison graphique et j’essaie de laisser libre cours à ma pensée sauvage le plus souvent possible.


Dans la perspective d’associer l’écriture à l’oralité, un atelier d’écriture sera proposé à la librairie le samedi 29 mai.

Nous accueillerons alors Don Masetti, amateur éclairé de poésie et membre du collectif de hip-hop LPI ayant pratiqué différents modes d’écritures et renoué avec la rue lors de nombreux rassemblements urbains sauvages (libre parole, block party). Le premier, à ma connaissance, a rapper des textes de Jean Richepin, d’Émile Goudeau, de Germain Nouveau (entre autres...).

L’idée de l’atelier est simple. Prendre un thème. Donner libre cours à son inspiration. Cadavre exquis, écriture automatique (à contrainte thématique), vers ou simple prose, toutes les formes d’écritures sont les bienvenues !

L'atelier se termine par une restitution orale collective des productions.

L’atelier débute à 14h (munissez-vous d’un stylo) et se termine par un gouter partagé.


Au plaisir des lignes,


PS : j'écris cette lettre un dimanche car deux amis, Rémi et Fabrice, m'avaient fait part de leur mécontentement de la lire le lundi. Par égard pour eux, je renouvèlerai sans doute l'expérience d'écrire la lettre du lundi un autre jour de la semaine...

Par ailleurs, n'hésitez surtout pas à commenter ces lettres (via le système interne du site) afin d'augmenter les perspectives de lecture !



Pistes de lecture :


  • Jack Goody, La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, 1979 (1977), Les éditions de minuit.

  • Ian Watson, L'enchâssement, 2015 (1973), Le Bélial'.

  • Jean Richepin, La chanson des gueux, 2016 (1876), Éditions Le chat rouge.

  • Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, 2011, Éditions Zones sensibles.

  • Henri Michaux, Par des traits, 1984, Fata Morgana.

  • Audre Lorde, Sister Outisder. Essais et propos d’Audre Lorde. Sur la poésie, l’érotisme, le racisme, le sexisme…, 2003 (1984), Éditions Mamamélis.



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1 Comment


lapetitefamille
May 25, 2021

Merci pour les partages que tu proposes N, je ne lis qu'en diagonale car j'aime pas la lecture longue sur écran et que j'ai des scrupules à imprimer, mais ce que je grapille chaque semaine m'inspire. Comme moi peut-être es-tu conscient de tes privilèges - et par exemple de ta "validité" (lol) - mais peut-être pas assez de tes handicaps ? Dans le maniement du langage par exemple, l'intellectualité, l'excès de précision ou le manque de conscience des jugements implicites (méta-croyances) qui accompagnent la réflexion peuvent être aussi des formes de tare sociales ou existentielles. Je parle surtout pour moi, et pour aujourd'hui - où je me sens au bord du burn-out à force de cumuler des engagements bénévoles et si…

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