"Vivre c'est penser : cela vaut pour tous les vivants, qu'ils soient amibes, arbres, tigres ou philosophes. Mais n'est-ce pas justement ce que pensent (et vivent) les peuples avec lesquels nous réfléchissons ? N'est-ce pas cela finalement ce qu'affirme le perspectivisme amérindien, à savoir que tout vivant est un pensant ? Si Descartes nous a appris, à nous Modernes, à dire "je pense donc je suis" - à dire, donc, que la seule vie ou existence que je suis capable de penser comme étant indubitable est la mienne propre -, le perspectivisme amérindien, lui, commence par l’affirmation doublement inverse : "l'autre existe, donc je pense". Et si celui qui existe est autre alors sa pensée est nécessairement autre que mienne."
Eduardo Viveiros de Castro, Le regard du jaguar, 2007 (2021).
Lundi 25 octobre 2021,
En discutant avec le fils d'un voisin éleveur de vaches, celui-ci me faisait part de son souhait de voir se réduire la taille du "troupeau" avant l'hiver. La ferme de sa famille est passée d'une centaine de vaches à près de trois cents depuis l'extension de leur ferme. Si nous sommes ici encore loin d'un projet délirant comme celui de la ferme des 1000 vaches, j'imagine néanmoins que cet enfant ne doit pas voir souvent les membres de la famille travaillant à la ferme.
Le mode de production des élevages domestiques qui se dessine depuis la fin de la seconde guerre mondiale vise essentiellement une amélioration des performances de rendement (réduction du nombre de races, technicisation, alimentation de synthèse, robotisation...). Contrairement à la place que l’élevage pouvait encore occuper au siècle dernier dans les populations pastorales est-africaines en tant qu’ensemble de croyances, de savoirs et de pratiques (techniques, rituelles, sociales, économiques), ce mode de production, reflet d'une vision particulière de l'économie, est loin d'offrir des perspectives épanouissantes aux êtres multiples qui en dépendent.
À la lecture de quelques ouvrages contemporains d'anthropologie, le potentiel réflexif relatif à notre condition humaine reste cependant élevé. Il ne reste plus qu'à réussir à le transmettre à nos voisins...
Pistes de lectures :
- Eduardo Viveiros de Castro, Le regard du jaguar, Édition la Tempête, 2007 (2021).
- Eric Navet, L'Occident barbare et la philosophie sauvage : Essai sur le mode d'être et de penser des Indiens Ojibwé, Homnisphères, 2007.
- Tim Ingold, Machiavel chez les babouins. Pour une anthropologie au-delà de l´humain, Édition Asinamali, 2021.
- Nastassja Martin, Les âmes sauvages, 2016.
- Evan Evans-Pritchard, Les Nuer. Description des modes de vie et des institutions politiques d'un peuple nilote, 1940.
- Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, 1958.
Bonus mythologique recueilli (par John-W Burton en 1981) chez les Atuot, voisins et proches des Nuer dont ils partagent les valeurs pastorales.
"Aux temps primordiaux, les hommes vivaient dans la forêt avec des buffles sauvages, sans contact avec les femmes qui demeuraient près de la rivière, dans un autre campement, pêchant, cultivant et détenant les vaches. Les vagins des femmes étaient alors fermés et elles concevaient —des filles exclusivement— en se baignant dans les eaux de la rivière. Un buffle disparut un jour du campement des hommes et l’un d’entre eux suivit sa trace jusqu’au campement des femmes. Elles ne purent l’informer du sort de l’animal, mais elles découvrirent le pénis, et l’homme le vagin. Les femmes se précipitèrent sur l’homme, qui en mourut, mais hommes et femmes se rapprochèrent. Les hommes s’aperçurent alors que les femmes s’intéressaient surtout à l’agriculture et ils leur volèrent les vaches après avoir chassé les buffles dans la forêt. Chaque femme choisit alors un homme et les hommes exigèrent de se marier. L’aînée des femmes demanda qu’ils donnent des vaches en échange, sous forme de prestation matrimoniale."
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