Parcours de vie

« C’était la première fois de sa vie que Louisa était entrée dans l’un des logements des ouvriers de Coketown, c’était la première fois de sa vie qu’elle se trouvait face à face avec quelque chose qui appartint à leur vie individuelle. Elle savait qu’ils existaient par centaines, par milliers. Elle savait quelle somme de travail un nombre donné d’entre eux pouvaient fournir en un temps donné. Elles les avaient vu entrer et sortir en foule de leurs nids comme des fourmis ou des cafards. Mais par ces lectures, elle était infiniment mieux renseignée sur les insectes ouvriers que sur ces ouvriers hommes et femmes.

Quelque chose qu’il fallait faire travailler tant, payer tant, et c’était tout ; quelque chose qui devait infailliblement être réglé selon la loi de l’offre et de la demande ; quelque chose qui se heurtait à cette loi et se débattait au milieu des difficultés ; quelque chose qui se trouvait un peu dans la gêne quand le blé était cher, et se gavait quand le blé était bon marché ; quelque chose qui croissait en nombre selon tel pourcentage et fournissait tel autre ; pourcentage de criminels et tel autre pourcentage d’indigents ; quelque chose de brut dont on tirait de très grosse fortune ; quelque chose qui parfois se soulevait comme la mer, faisait un peu de mal et de dégâts - principalement à soi-même – et retombait de nouveau ; elle savait que les ouvriers de Coketown étaient tout cela. Mais elle n’avait guère plus songé à les diviser en unités qu’à diviser les gouttes d’eau qui composent la mer. »

Charles Dickens, Temps difficiles, 1854

Lundi 26 avril 2021,

Une série d’évènements peut-elle être à l’origine de ce qui anime notre conscience et nos actes ?

À travers le prisme de parcours individuels singuliers, je constate que cela peut être le cas.

Emma Goldman affirme que la tragédie de Chicago de 1887 (le massacre de Haymarket square à Chicago et l’exécution par pendaison de cinq anarchistes qui en a résulté) a développé sa conscience radicalement : « La mort des martyrs de Chicago a marqué ma naissance spirituelle : leur idéal est devenu ma raison d’être ».

Si la sanglante répression de la commune de Paris a potentiellement offert de nouvelles perspectives à la pensée révolutionnaire, le parcours salarié d’Émile Henry lui a permis de constater de visu les conditions de vie ouvrière et les inégalités sociales induites par le rapport d’exploitation capitaliste. Il rejoindra alors les réunions libertaires auxquelles son frère ainé, Fortuné, participait déjà. Puis il décidera d’opter pour la propagande par le fait…

Dans les années 70, le développement de la civilisation industrielle et la disparition d’espaces naturels relative à son expansion sont à l’origine de l’élaboration de la pensée en actes de Theodore Kaczynski.

Nombreuses sont les histoires de vie qui, sans défrayer la chronique, vont partir d’un événement particulier pour tendre vers une remise en question de la quotidienneté établie.

Partager ces histoires reste le moyen le plus simple pour continuer à se poser des questions collectivement. La prochaine ouverture de la librairie ayant lieu un 1er mai, je me saisis de cette date pour vous inviter à venir partager vos interrogations, à apporter vos réponses pratiques ou simplement à nous rejoindre pour chanter !

(Comme tous les premiers samedis de chaque mois de 15h à 16h)

« Quels fruits tirons-nous des labeurs Qui courbent nos maigres échines ? Où vont les flots de nos sueurs ? Nous ne sommes que des machines. Nos Babels montent jusqu’au ciel, La terre nous doit ses merveilles Dès qu’elles ont fini le miel, Le maître chasse les abeilles »

Le chant des ouvriers, Pierre Dupont, 1846

Bien à vous,

n.

Pistes de lecture :

• Emma Goldman,

Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions, L’échappée et L’anarchisme, Nada

Un lien vers la revue « Mother Earth » éditée par Goldman et Berkman :

http://racinesetbranches.blogue.fr/mother-earth/

• Walter Badier, Émile Henry. De la propagande par le fait au terrorisme anarchiste, Éditions libertaires

• Theodore Kaczynski, Manifeste de 1971. L’avenir de la société industrielle, Climats