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Des communs pas comme les autres



"Située dans la zone pétrolifère, dans la partie septentrionale de l’État de Veracruz, l'hacienda n'enrichissait pas son propriétaire ; elle ne lui donnait même pas l'aisance. Car tout était cultivé et administré suivant les vieux usages ancestraux. La vie que l'on menait à l'hacienda était douce et paisible. Personne ne s'agitait. Il n'y avait point de presse, point d'excitation, et si l'on entendait parfois des invectives, ce n'était que pour apporter un peu de vivacité dans la vie qui aurait été trop monotone si l'on avait, à l'occasion, ouvert de temps en temps les soupapes".


B. Traven, Rosa Blanca, 1929.



Dimanche 20 juin,


L’analyse de la disparition des communs proposée par Karl Polanyi dans La grande transformation insiste longuement sur les changements institutionnels qui ont permis l’établissement de l’économie libérale (mouvement des enclosures, fin des poor laws, développement de machines spécialisées…) et sur leurs conséquences dramatiques (pollution, désorganisation sociale…).

Lorsque les terres soumises à un droit d’usage communautaire ont commencé à être confisquées et clôturées, consacrant le passage d’un régime de possession, avec des droits d’usage collectifs, à un régime de propriété privée, le capitalisme agraire était né.


Si la prédation de la terre fut une condition nécessaire à son exploitation dans une logique d’accumulation capitaliste, la notion de « dépossession » apparait immédiatement lorsque l’on songe aux conséquences des conquêtes coloniales que furent le pillage des ressources et la destruction des cultures indigènes. L’impérialisme est encore un état de fait et les politiques de sphères d’intérêts continuent à se déployer dans de nombreuses régions du globe avec ses corolaires (guerres, violences, escroqueries, oppressions).


Cette dépossession se poursuivit à une échelle moléculaire dès le début du XIXème siècle avec les travaux visant à homogénéiser et stabiliser la production agricole selon les principes de la révolution industrielle. Les travaux contemporains de génétique agricoles et les brevets sur le vivant finissent par priver le monde paysan de ses ressources en remplaçant des variétés libres (que l’on peut ressemer) par des clones captifs du marché.


Loin d’être évident à penser de manière globale et à remettre en œuvre, les communs sont pourtant nécessaires. De la résistance des peuples indigènes aux différentes ZAD occidentales, de nombreuses initiatives œuvrent heureusement à leur revitalisation.

En partant des ressources nécessaires à leurs survies (forêts, rivières…), des peuples luttent pour restaurer des pratiques et des valeurs communautaires. L’éthique indigène est antinomique à l’esprit du capitalisme. En évitant que des infrastructures inutiles ne viennent encore parasiter notre rapport au monde, des peuples luttent pour inventer de nouvelles pratiques communautaires.

Cependant, en suivant les réflexions proposées par Emmanuel Bonnet, Diego Landivar, Alexandre Monnin dans leur ouvrage Héritage et fermeture, certains communs, dont la Terre hérite, peuvent être considérés comme négatifs et semblent indépassables.



"Ce sont des infrastructures, des activités, des organisations obsolètes sur le plan écologique et terrestre, qui ne peuvent d’ailleurs être vraiment écologisées, mais font pourtant tenir nos modes de subsistance. Ce sont donc des communs néga-positifs en un sens. Cela explique qu’il soit tellement difficile de trouver prise (politique, juridique, économique, écologique, technique) sur eux face à l’Anthropocène. Souvent, d’ailleurs, ils sont intégrés à des chaines (logistiques, de production, de distribution, etc.) qui font que les attachements engendrés deviennent infinis (pensons à la supplychain sanitaire qui lie la planète entière à la Chine et à toute l’infrastructure logistique, commerciale et numérique autour de la gestion de la pandémie actuelle), et donc des objets en soi."
Emmanuel Bonnet, Diego Landivar, Alexandre Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, p112.


La tâche qui se présente à nous est double.

Tout en continuant à restaurer les communs d’autrefois, il s’agit également de commencer à penser de manière plus complète notre rapport à de nombreuses infrastructures modernes qui font malheureusement partie de notre monde.


Comme de nombreuses autres initiatives locales (Ateliers reliés, Chantiers d’automne…), le projet autour de la librairie Racines peut être considéré dans cette double perspective.


D’un côté, la librairie se situe au cœur d’un espace de conservation de variétés anciennes de pommes, poires et cerises. Un verger conservatoire et une forêt comestible poussent maintenant depuis une dizaine d’années sur les parcelles adjacentes. La perspective d’y voir se développer un lieu d’échange autour de pratiques agricoles, de conservation et d’échange de variétés anciennes de graines et autres greffes inscrit directement le projet du côté des communs positifs.


D’un autre côté, le bâtiment qui abrite la librairie est l’exemple parfait du commun négatif dont on hérite et depuis lequel on se projette. Ancien garage et grenier agricole, cette structure en parpaing recouverte de tôle en fibrociment possède déjà sa propre histoire.

Après des travaux de restauration intérieur au moyen de matériaux naturels, La Maison des enfants a ouvert ses portes en 2012. Cet espace polyvalent a dans un premier temps hébergé un projet d’alternative à l’école puis assisté à la création de la ludothèque l’Arbre à jeux, maintenant bien implantée sur la commune. Enfin, avant de se transformer en librairie, le bâtiment a permis la vente directe de la production maraichère du collectif de jardinage Rumex en saison froide (collectif qui s’était réapproprié une parcelle de terres adjacente pour démarrer sa production, parcelle autrefois communisée dans le cadre d’un potager collectif).


La tentative effectuée pour transformer cette infrastructure offre donc depuis un certain temps l’opportunité d’imaginer des communs positifs.

Au plus ces projets se multiplieront, au plus les manières de transformer notre rapport au monde se développeront.

Au plaisir d’en discuter avec vous.



Pistes de lecture :


  • Jean-Pierre Berlan, La planète des clones : les agronomes contre l'agriculture paysanne, Éditions La lenteur, 2019.

  • David Harvey, Géographie de la domination - Capitalisme et production de l'espace, Éditions Amsterdam, 2018.

  • Tariq Ali, Bush à Babylone. La recolonisation de l’Irak, Éditions La Fabrique, (2003) 2004.

  • Matthieu Le Quang, Laissons le pétrole sous terre ! - L’Initiative Yasuní-ITT en Équateur, Éditions Omniscience, 2012.

  • Karl Polyani, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps,(1944) 1983.

  • Emmanuel Bonnet, Diego Landivar, Alexandre Monnin, Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement, Éditions Divergences, 2021.

  • B. Traven, Rosa blanca, 1929.


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